mercredi 22 septembre 2010

Discours

« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, mes chers amis, vous tous, et toi, Kurt, mon salaud : aujourd'hui est un grand jour pour moi.

Vous savez, au début je n'y croyais pas. Je me disais que c'était impossible, irréalisable. J'avais tort.
Je n'ai jamais abandonné pourtant. J'étais sans espoir, je n'avais plus foi en rien, mais je n'ai pas abandonné. Jusqu'au bout j'ai tenu, j'ai ignoré mon cœur qui me disait de laisser tomber. Mon cœur, c'était plus moi, c'était un traître qui me minait de l'intérieur. Je l'ai pas écouté, j'ai préféré suivre ma volonté.
Et aujourd'hui je suis là, devant vous, je vous parle et je n'y crois toujours pas. Je ne suis toujours pas complètement revenu de ces terres désolées où il n'y avait plus aucun espoir.
J'imagine qu'il faut que j'en remercie quelques uns qui m'auront permis d'arriver jusque là, qui m'auront permis de ne pas abandonner lorsque tout était noir. Je ne sais par où commencer, vous m'avez tous tant apporté, et je n'aurais pas assez d'une vie pour vous témoigner ma reconnaissance éternelle.

Peut-être toi, Lucie, avec qui j'ai passé deux années de ma vie, si courtes et pourtant si importantes. Toi qui m'a consciencieusement dévasté pièce par pièce, toi qui m'a laissé t'aimer, qui m'a balayé d'un revers négligent de ta douce main, et qui m'a regardé suffoquer sur le pavé. Toi qui avait ce regard rieur que j'aimais tant…
Toi, Youri, je me souviendrai toujours de ce que tu as fait pour moi. J'étais jeune, c'est vrai, j'étais ignorant, et tu m'as tant aidé à comprendre à quel point je n'étais rien à tes yeux. Tu t'es échiné à me faire tomber plus bas que terre. Et sans relâche tu m'as écrasé sous ta botte, encore et encore, jusqu'à ce que je ne sache plus qui j'étais, jusqu'à ce que je me sente sale et insignifiant, indigne de vivre. Tu m'avais réduit à l'état d'un vermisseau que tu regardais ramper d'un œil satisfait.
Je ne t'oublie pas, Maria. Qu'aurait été ma vie sans toi ? Tu m'as tellement aidé, toi qui savais tant de choses, toi qui étais tellement sûre de tout ce que tu croyais. Moi qui ne te comprenais pas, j'étais un ignorant à tes yeux, j'étais stupide, sans intérêt. Tu voulais que j'apprenne, que je m'enrichisse de tes lumières, et je n'ai su que tacher de ma crasse ignorance les pures beautés que tu t'efforçais de m'offrir. Je te prie de m'excuser, Maria. Sache que, même lorsque j'étais au plus bas, tes mots ont toujours su m'enfoncer encore, impitoyablement.
Ma famille, oui je voudrais remercier ma famille. Vous tous, qui êtes là devant moi, je n'aurais rien pu faire sans vous. Vous m'avez chassé, trahi, humilié ; c'était pour mon bien, je l'avais immédiatement compris. Je n'étais pas comme vous, c'est vrai, et je vous prie maintenant de m'en excuser. Je n'ai pas su vous faire honneur ; j'en suis chaque jour rongé de remords. Vous m'avez poursuivi de vos calomnies, je comprends maintenant que vous ne souhaitiez que mon bonheur.
Quant à toi, Kurt, ton attitude m'a déplu. Tu m'as soutenu depuis le début. Quand tous s'efforçaient de me plonger dans l'obscurité tu me montrais un point de lumière au loin. Je suis déçu, Kurt.
Et puis vous tous, Anonymes chers à mon cœur, qui m'avez envoyé toutes ces lettres m'enjoignant de me taire et d'en finir avec ma misérable existence. Tant de messages haineux qui m'ont fait comprendre à quel point il était important que je finisse ce que j'avais à faire. Je sais que vous êtes là, artistes de ma chute, je sais qu'il y en a parmi vous, je leur adresse mes amitiés. Ce sont ces Anonymes qui m'auront ouvert la voie royale du ressentiment, dans laquelle j'ai pu poursuivre mon œuvre.

Voilà où vous en êtes, tous aujourd'hui, après tant d'années à avoir tenté de me faire tomber à genoux devant vous. Aujourd'hui vous êtes là, vous m'écoutez, comme si le poids de vos miasmes s'était d'un coup envolé, oublié. Vous me regardez d'un œil attentif et innocent comme si rien ne vous importait plus que les paroles que j'allais prononcer. À tous ceux parmi vous qui voulaient précipiter mes jours, à tous ceux qui voulait me faire taire et m'écraser comme un insecte, j'adresse mes plus humbles salutations. Voyez-vous, quelque chose vous est passé inaperçu, trop occupés que vous étiez à me haïr : je n'ai jamais cessé de croire. Vous étiez tant à vouloir me détruire que j'ai fini par comprendre ce qui vous faisait peur. Vous me craigniez, moi et tous ceux de mon espèce, parce qu'il y a quelque chose que vous ne compreniez pas dans ce que nous faisions, parce que quelque chose vous échappait. Aujourd'hui cela vous échappe encore ; vous êtes résignés à ne pas comprendre, c'est tout. Vous êtes passés de la haine à la dévotion sans même savoir pourquoi. Vous êtes des girouettes sans vies, ridicules et répugnantes. Oui vous me répugnez, votre paresse me répugne. C'est cette révulsion qui m'a poussé à continuer, encore et toujours, parce que je me disais que qu'alors cela me rendrait peut-être différent de vous. Vous êtes des êtres gras et fats, pétris de certitudes, incapables de penser plus loin que le bout de l'existence, incapables de vous hasarder sur les chemins de l'inconnu. Aucune peur chez vous, non, mais de la fainéantise. La peur est un sentiment trop noble pour l'infâme amas de semi-consciences que vous êtes. Vous me répugnez parce que vous êtes sans passions, vous me répugnez parce que vous êtes étrangers à la vie. Vous êtes des âmes mortes traînées par des corps flasques, sans autre conviction que celle que tout ceci finira bien un jour et qu'il suffit d'attendre. Vous me répugnez parce que vous me faites peur, vous qui faites suffoquer l'humanité de vos effluves poisseuses, vous qui crachez votre fiel sur ses rêves. Vous écrasez mollement des millénaires d'évolution sous le poids de votre inanité. J'ai peur de ce que vous êtes, j'ai peur que l'espèce humaine ne soit plus que cet être sans vie qui se traîne paresseusement jusqu'à sa fin, une limace visqueuse vouée à ne laisser derrière elle que la trainée de sa laideur.

Voilà pourquoi, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, je vous adresses mes plus exécrables salutations, et vous remercie du fond du cœur pour l'honneur que vous me faites aujourd'hui. »

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