vendredi 29 octobre 2010

À la recherche de

Chaque jour se fait plus pressant, rappelle qu'il va falloir se mettre à sa recherche. Car il a disparu le bougre, le dindon boiteux, l'escoflange cintécrate ! Et sans laisser de trace avec ça ! Encore il aurait laissé une lettre d'adieu ou n'importe quoi, on aurait rien dit, on aurait compris ; il s'est volatilisé sans un mot, l'animal ! Et il nous a plantés là comme des cons. Mais il faut que je vous raconte, vous n'êtes pas au courant peut-être.

Franchement on s'était habitués à lui, à force. Ah ça n'avait pas été facile, mais on avait fini par le supporter. Ce qu'il faut dire, c'est qu'il faisait des efforts pour être un peu drôle, on ne peut pas le blâmer pour ça. Il nous a toujours manqué, cet imbécile heureux. En ces temps troublés j'avais bien besoin de ça : ces deux ou trois petites choses qui avaient le mérite de décrocher parfois un sourire. C'est d'ailleurs pour ça qu'on l'avait accepté parmi nous.

Au début on était un peu sceptiques, il faut bien le dire. Il ne nous paraissait pas très sérieux, cet espèce de marsouin boiteux. Et puis au fil du temps une histoire avait commencé à naître, avec lui. On l'avait un peu laissé faire sa cuisine dans son coin et il s'en sortait plutôt bien. On était assez surpris de voir qu'on s'était pas mal plantés sur son compte. Peu à peu c'est devenu un vrai ami pour nous tous. Et puis un jour il est parti faire un truc de son côté. Ah ça, on ne peut pas dire qu'on ne l'avait pas vu venir : c'était un passage obligé, tout le monde le savait. Il a été le dernier à le comprendre, d'ailleurs ; mais il a fini par voir que ça ne pouvait plus marcher s'il restait avec nous. Alors il est parti. On l'a suivi dans son épopée, l'œil un peu attendri par ce brave type qu'on avait tous connu à ses débuts, et qui se lançait finalement dans sa propre histoire. Sa chose était née, enfin.

Et puis la suite, vous en connaissez un bout : il a continué, petit à petit, à construire son édifice dépareillé, un peu n'importe comment mais ça tenait debout. Ça marchait, ça marchait bien ; il lui arrivait même de nous dire qu'il était plutôt content de telle ou telle pièce qu'il venait d'ajouter. Bon, ce genre d'euphories ne durait jamais bien longtemps, mais ça faisait chaud au cœur de voir qu'il se faisait plaisir, au fond.
Et puis un jour, plus rien. Comme ça. Nous, on ne savait pas. Il s'était barré sans laisser de traces, sans que personne ait pu prévoir son départ.
On a d'abord été désemparés, on ne comprenait pas. Finalement on a réagi, on a fini par en envoyer un de chez nous pour le remplacer, histoire que tout ce qu'il avait fait ne se casse pas la gueule. C'est seulement après que la tristesse nous a frappés. On a soudain réalisé qu'on y tenait à ce p'tit gars, et ça nous faisait un sale poids sur le cœur de savoir qu'on l'avait perdu. Heureusement on avait l'espoir encore, on pensait tous qu'il allait revenir. C'est pour ça qu'on avait envoyé l'un des nôtres, finalement, juste pour assurer la transition en attendant qu'il revienne. Personne n'osait le dire, on avait peur qu'en le disant on se rende compte que c'était absurde. Il était vraiment parti, on en avait tous conscience. Mais on gardait au fond de nous cette petite chose d'espérance qui nous permettait de croire qu'il reviendrait. Je crois que c'est ça qui nous a fait tenir sur nos pieds pendant tout ce temps, en fait. Sans cet espoir on aurait été tous déjà finis. On y tenait plus qu'on ne le croyait, à ce salaud, et quand il est parti ça nous a presque foutus à terre.

Et maintenant que ça commence à se tasser bien comme il faut, on va partir à sa recherche. C'est ce qu'on a décidé tous ensemble. À vrai dire, ça, on l'avait déjà décidé au moment où il était parti, on le savait confusément, mais on n'avait pas réussi à l'exprimer convenablement. C'est aujourd'hui seulement, maintenant qu'on s'est habitué à cette blessure, qu'on sait vraiment ce qu'on doit faire. On doit le retrouver, sans quoi jamais on ne pourra guérir. Alors on est partis à sa recherche, tous.
Personne ne sait vraiment où il a pu aller. Certains évoquent les territoires qu'on n'a nous-mêmes jamais explorés, d'autres pensent qu'il est juste là sous notre nez et qu'il suffit de mieux regarder… On a tous notre petite idée, en fait. Mais certains nous font un peu peur, dans le tas : ceux-là, ils disent qu'on le retrouvera jamais. Qu'il est pas parti, mais qu'il a disparu. Le seul truc qu'il nous reste, c'est l'ébauche un peu branlante qu'il a laissée derrière lui, qu'ils disent. Et ceux-là, on essaie de ne pas trop les écouter, parce qu'on sait qu'ils peuvent avoir raison, on a peur que ce soient eux les lucides et nous les aveugles. Mais c'est pas pensable, ce serait trop dur. On le retrouvera, nous. Même si on passe notre vie à chercher.

2 commentaires:

  1. J'aime bien ta façon d'écrire, cette prose un peu mystérieuse, et fluide.
    Mais ne crois-tu pas qu'en nous menant vers une chose dont tu ne donnes aucun détail et qui n'évolue pas du début à la fin, ton récit va un peu dans le vide ?

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  2. Le problème est dans la question, en fait : ce n'est pas un récit.

    Mais sinon, c'est une bonne question.
    Si, donc.
    Mais je crois pas que ce soit la plus grande partie du problème. Le problème, c'est surtout que ce texte n'est pas assez fort (émotionello-stylistico-toussament, j'entends) pour se maintenir tout seul en l'air ; le fait de lui adjoindre des détails concrets et de ce fait de le transformer en récit, ou du moins en matière narrative, pourrait effectivement lui donner de l'intérêt. Mais l'histoire que raconte un texte, je trouve, ne doit pas être la seule chose qui en motive la lecture.

    Bref, effectivement, j'aurais pu dire « ici on parle de celui qui écrivait des articles drôles et qui est visiblement parti ».
    Le mieux dans ce genre de trucs, c'est peut-être de parvenir à le faire deviner sans en parler vraiment, chose que j'ai essayée dans plusieurs articles et qui n'a jamais fonctionné.

    'fin bon, merci beaucoup pour ton commentaire, ça donne à réfléchir (même si j'ai fait semblant de donner une réponse tranchée).

    Et puis longue vie à ton blog.

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