mardi 23 novembre 2010

Quelle belle soirée !

Je me suis rendu hier à une fort étonnante soirée. Laissez-moi vous conter la chose.

Il y a deux semaines, j’ai reçu une invitation anonyme. Simple et élégante. N’écoutant que ma curiosité (ainsi que mon appétit pour les mystères et les bons buffets), j’ai pris hier le chemin de la forêt de G… Cette réunion semblait avoir lieu à intervalles réguliers mais le lieu n’était apparemment jamais le même. Dans mon invitation très-officielle avait été glissé un mot écrit à la main sur un carré de papier, signé d’un certain G.V. : « Allez, goûtez, profitez, observez, et surtout, racontez tout ce qui vous intrigue. Votre rôle est essentiel. » Rien de plus. J’ai accompli les quatre premières tâches au mieux de ce que mon être semblait comprendre à la lumière vacillante de ces quelques mots allusifs, il me reste désormais à m’acquitter de la cinquième : raconter.

Comme indiqué dans mon invitation, à sept heures m’attendait devant ma porte une berline noire qui devait m’emmener jusqu’au lieu des réjouissances. Contrairement à la scène que mes fantasmes m’avaient dépeinte, je n’eus pas les yeux bandés et mon chauffeur n’était pas un automate froid et mutique. Le personnage était sympathique et répondit avec patience à mes inquisitions : Où va-t-on ? Au milieu du bois de G…, une sorte de grand manoir du début du siècle. Ça fait longtemps que vous faites ça ? Pas mal, oui, cinq-six ans maintenant, tous les deux mois. Et vous avez souvent conduit les mêmes personnes ? Oh oui, souvent. Des têtes connues ? Ah ça Monsieur, je ne vais pas pouvoir vous le dire, vous le constaterez par vous-même. Ça dure longtemps, ces soirées ? Certains rentrent assez tôt dans la nuit, parfois je suis appelé au petit matin par un tardif. Et alors, vous qui conduisez ces gens depuis si longtemps, quelles sont vos impressions générales, sur eux, sur ces soirées ? Eh bien très bonne, je dois vous dire ; la plupart sont très sympathiques, j’ai plaisir à les conduire ; quant à la soirée en elle-même, je n’en sais pas grand-chose, vous imaginez bien. Bon bon bon, je suppute qu’il ne me reste qu’à aller voir par moi-même alors ? Ça, c’est vous qui décidez, Monsieur ; moi, je conduis.

Je vous passe ici les détails du trajet. Toujours est-il que l’on s’enfonça dans de petits chemins de forêt et que je fus accueilli au sortir de la voiture par un homme élégamment vêtu, au visage étrangement familier. Après quelques minutes de marche, le manoir apparut, majestueux, au détour d’une sinuosité du chemin. Mon guide frappa deux coups légers et une femme au visage jovial nous ouvrit la porte.

Si je dois raconter ce qui m’a intrigué, alors il n’y a pas tant à dire sur la soirée en elle-même, sinon que j’ai cru comprendre en discutant avec les convives que chacun d’entre eux (je dirais qu’il y en avait une quarantaine en tout) était une pointure dans son domaine. Et pour ce qui est des domaines… j’ai croisé au moins ethnologue, musicien, souffleur de verre, physicien, peintre, parfois des métiers qui n’en étaient pas. Je ne crois pas avoir jamais rencontré telle diversité.

Une chose qui a véritablement excité ma curiosité, sans que je ne puisse exactement poser le doigt dessus, c’est que l’atmosphère était traversée d’une sorte de force ancienne, comme une tradition venue du fond des âges. Quelque chose dans les conversations, dans les attitudes, laissait penser qu’une histoire puissante liait tout ce beau monde. Mais je n’ai pu en savoir plus et malgré mes quelques tentatives pirouettesques pour sonder mes interlocuteurs, ceux-ci se montrèrent remarquables d’esquives et de discrétions.

Autre curiosité qui ne saurait être passés sous silence, peut-être plus dérangeante encore : alors que la soirée était joyeusement lancée, je vis un petit homme affairé passer parmi l’assemblée. Il semblait parfaitement à l’aise comme chez lui, il saluait ça et là les gens qui le saluaient en retour, et pourtant quelque chose dans ses mouvements trahissait comme une occupation extérieure à ces réjouissances colorées. Alors que je l’observais du coin de l’œil, il s’en vint parler à un invité, puis deux, puis trois, et quatre enfin. Les convives auxquels il avait discrètement adressé la parole avaient quelque chose de changé dans le regard et le maintien, comme un sérieux, une tension accrue.
Quelque chose s’était enclenché.
Rapidement, ces quatre personnes, chacune de leur côté, s’excusèrent auprès de leurs interlocuteurs du moment et je les vis quitter la soirée. Je fus partagé entre le désir bouillant de les suivre et de découvrir leur secret, et la nécessité de rester témoin de la soirée qui se déroulait, rôle que je me suis finalement résolu à endosser jusqu’au bout. Cependant lorsque le petit homme parla à celui des quatre convives le plus proche de moi, j’attrapai quelques mots au vol : « à la cave, oui ; c’est l’heure » ; la suite fut si fugace, et serait si étonnante si elle était avérée, que j’en doute encore aujourd’hui, mais je jurerais que le petit homme m’avait fait un clin d’œil.
Personne ne s’était soucié de leur départ qui semblait être passé inaperçu et la soirée continua sans le moindre événement inhabituel à mes yeux.

Je suis resté avec eux quelques heures en tout, et ce fut une soirée riche, intéressante, joyeuse. Je fus accueilli avec écoute et simplicité et j’adresse mes remerciements à qui de droit me lira. À présent que je suis de retour chez moi et que j’ai fait le récit des heures passées, mon travail est achevé. Je m’en suis acquitté au mieux des informations qui m’avaient été données. Y aura-t-il une suite ? Étant données les circonstances de ma venue, j’en doute, mais sait-on jamais ! À toute personne concernée qui lirait ces mots, j’adresse mes remerciements pour cette étonnante et fantastique expérience.

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