jeudi 3 juin 2010

Chroniques oubliées (3)

Oui, deux articles à la fois. Et sans honte, de surcroît.
Voici donc la suite de ce qui précède, toujours en version bêta.


« N’oubliez pas le piment ! » Le slogan avait toujours fait des merveilles. Salluste n’en avait jamais vraiment saisi la raison. Mais depuis des générations, c’était celui des Flanche, et la phrase rituelle avait traversé les siècles. Ça n’était certainement pas lui qui allait tenter un renouveau, et puis c’était dangereux, le changement, il l’avait toujours su au fond de lui.
Salluste Flanche tenait un restaurant sur l’avenue des souris bleues, et un sacré bon de surcroît : Au sanglier facile. L’allure balourde et les traits assez grossiers, le bonhomme ne payait pas de mine ; il se dégageait pourtant de lui une étrange aura de séduction. Depuis qu’il avait repris l’auberge quelques années auparavant, elle s’était peu à peu hissée au rang des plus prisées du pays, parfois même il recevait des membres de la haute société leshracienne. Il s’avérait que chez les Flanche, on avait toujours tenu des restaurants, ce dont ils étaient particulièrement fiers. De mémoire d’homme il y avait toujours eu un Flanche à cet endroit, et on avait toujours vu le fameux « n’oubliez pas le piment » crânement affiché sous l’enseigne dorée. Certains trolls parmi les plus anciens auraient bien pu affirmer que « non, avant, ici il y avait autre chose, un chasseur de primes alwarien, je crois bien », mais les trolls parmi les plus anciens étaient rarement écoutés, car à la fiabilité douteuse. Salluste pouvait donc se vanter d’être le dernier descendant d’une lignée qui remontait à l’origine des temps, sans que personne ne se risque à le contredire. De son passé de pré-aubergiste personne ne connaissait toutefois grand chose, sinon qu’il avait « toujours vécu à Leshrac », comme on le disait parfois sans grande conviction.
Aujourd’hui les clients s’enchaînaient sans discontinuer. Il fallait s’adapter au rythme frénétique, aussi Salluste était-il tout aussi excité. Il allait des cuisine à la salle, des chambres à la terrasse, plus actif que jamais. Il motivait les troupes avec vigueur, et son énergie contagieuse se propageait parmi le personnel.

Maxwell entra. Salluste l’aperçut accompagné d’une jeune femme qui… eh ben, sacré bon Dieu de beauté que cette fille-là ! Le Maxwell, il en avait de la chance. C’est pas tous les jours qu’on en rencontrait, des comme ça. Jamais même ! Enfin, pas dans une vie de Flanche en tout cas.
Il se dirigea vers eux et une fois à leur niveau, leur lança :
- Salut, Max. ‘moiselle, mes respects. Très respectueux, les respects…
Son œil s’alluma.
- D’ailleurs, vous a-t-on déjà dit…
- Salut ! le coupa Maxwell. Salluste était réputé pour ses tendances donjuanesques, mieux valait couper court à son dangereux verbiage. Il continua :
- Il faudrait qu’on parle. Mais au calme, si tu vois ce que je veux dire.
- Ouais, je vois, répondit Salluste, qui avait du mal à détacher son regard de la jeune femme.
- Je te présente Angie. Veux-tu bien m’écouter maintenant ?
Salluste détourna enfin le regard.
- Suivez-moi par là. »
Et ils le suivirent entre les tables bondées vers une porte à peine visible, à l’arrière du restaurant. Salluste profita de la cohue pour s’adresser à Maxwell à voix basse :
- Dis-moi, tu la connais depuis longtemps, ta copine ?
- Quelques heures. Je t’expliquerai.
- Quelques heures ? Ah mais donc vous êtes pas…
- Oublie.
- Non parce que…
- Oublie, j’ai dit.
- Vraiment ?
- (…)
Salluste soupira.
- Quand même, tu t’en sors bien…

Ils entrèrent dans une petite salle à l’aspect chaleureux, à l’arrière de la taverne. Les murs épais adoucissaient les bruits, et le joyeux chahut des festivisants déchaînés paraissait d’ici beaucoup plus sage. Un lit était posé dans un coin, une table trônait au centre.
- Asseyez-vous, asseyez-vous. Attendez voir, j’vais nous commander de quoi discuter correctement. Patte ! Amène-nous trois pichets ! Vous buvez mademoiselle ? Parfait. Le pauvre, il est pas gâté : Patte, non mais franchement… Ils ont pensé à quoi ses parents au moment de lui trouver un nom ? Bref, qu’est-ce qui t’amène ? Enfin, vous, plutôt.
- Je voudrais te demander un service.
- Ah…
- Il faudrait que tu nous trouves quelqu’un, en fait, un guide. Et il faudrait que ce soit quelqu’un de particulièrement fiable, je ne crois pas qu’on puisse se permettre de choisir à la légère, c’est pour ça que je suis venu te voir.
- Rapport à la demoiselle ? Vous dites rien Mad’moiselle, c’est normal ? Vous avez l’air un peu tendue d’ailleurs.
- Crois-moi, mieux vaut que tu n’en saches pas plus sur elle.
- Comme si tu la connaissais, toi ! Ha ! Deux heures qu’il l’a rencontrée et il se permet de dire des trucs pareils.
Elle le coupa :
- Il a tout à fait raison, ça vaut mieux pour vous. Ne vous occupez que de ce qui est de votre ressort. Le reste, je m’en charge.
- Sacré caractère, ta copine, fit Salluste, l’air un peu vexé. Bon c’est quoi le problème ? Vous commencez à me courir sur le haricot avec vos histoires.
- Comme je t’ai dit, elle aurait besoin d’un guide.
Salluste marmonna :
- Ah, donc c’est bien pour elle, je m’étais pas planté…
- Le problème, c’est que c’est un endroit pas spécialement proche d’ici.
- Ah…
- C’est vraiment loin, en fait.
- Ah…
- Les Montagnes Bleues.
- Ah…
- Et puis, il faudrait quelqu’un de rapide et discret. Je ne dis pas qu’elle soit poursuivie, mais le fait est que si.
-Ah…
- Ils ont l’air assez dangereux, à vrai dire.
- (…)
L’esprit de Salluste tournait à plein régime. Les Montagnes Bleues, c’était loin, soit. D’autant plus qu’il fallait passer par Roglared’nam, il n’avait pas que des amis là-bas. Ils aurait des poursuivants dans le dos, aussi. Mais c’était peut-être l’occasion de reprendre du service. Il savait qu’au fond ça lui manquait terriblement. Sans oublier cette fille, qui était… Enfin elle l’était sacrément, en tout cas. Et puis Sam était assez débrouillard, il pourrait faire tourner l’auberge le temps de son absence. Décidément, c’était une bonne idée.
Après quelques secondes de silence, Salluste reprit lentement :
- Mais, tu sais… Je peux l’accompagner, moi.
Maxwell ouvrit la bouche, mais sans le son. Il respira profondément puis parvint à articuler :
- Mais…
- C’est quoi le problème ? Tu trouveras pas mieux comme guide. Tu sais bien comment j’étais avant.
- Justement, c’est le passé tout ça. Maintenant, tu es un peu moins… enfin, tu comprends bien le problème. D’autres part c’est tellement classique, le vétéran qui veut repartir à l’aventure. Je te connais, tu n’aimes pas ce genre de clichés.
- Vétéran ? Et béh tu m’épargnes rien ! Ben tiens, je l’accompagnerai ta copine, tu verras ce que c’est un vrai Voyageur. Je repars sur les routes, mon vieux.
- Voyageur ? Mais tu ne l’es plus depuis longtemps.
- Que tu crois ! J’ai pas encore fini de faire parler de moi, novice de mes deux !
- Ah oui ? Prouve-le.
- Ça marche. Tu nous accompagnes, alors ?
- Je suis alchimiste en ce moment, tu le sais bien…
- Et ça prétend me faire la leçon ! Tu sais quoi ? Tu m’arrives pas à la cheville.
- Ne me fais pas rire.
- J’ai jamais eu peur de l’aventure, moi au moins.
- Très bien, je viens !
- Toujours aussi susceptible… T’as pas changé.
Maxwell remarqua subitement que Angie leur prêtait une attention soutenue. Il regarda Salluste et celui-ci hocha la tête avec un air résigné. Un silence gêné commença à s’installer confortablement, mais rapidement il fut brisé par une voix féminine, douce et insidieuse.
- Vous avez parlé de voyages, n’est-ce pas ?
Les deux autres se fixèrent un moment. « C’est toi qui t’y colles. » lui fit comprendre Salluste au cours de leur échange silencieux. Maxwell répondit lentement :
- Bien sûr. Vous souhaitez voyager, n’est-ce pas ?
- Pas de cette manière. Vous en parliez d’une façon… particulière.
- Je parlais de l’autre.
- L’autre quoi ?
- Eh bien, manière.
- L’autre manière ?
- Sans doute.
- Manière de ?
- Vous en parliez à l’instant.
- Moi ?
- Oui, vous.
- Mais non, c’est vous qui…
- Vous en êtes certaine ?
- Je crois.
- Je ne crois pas.
- Je ne sais plus…
- Mais enfin, c’est vous qui…
- Oui, mais…
- Alors, de quoi parlons-nous ?
- De rien, oublions.
- Tant pis. Ça vous reviendra, j’en suis certain. Salluste, tu te sens trop vieux, peut-être ? Pas de regrets ?
- Ferme-la un coup, pour voir ?
- Je le savais, fit Maxwell en souriant. Ça va nous décrasser, voilà tellement longtemps qu’on n’avait pas eu droit à un peu d’aventure. Et d’après l’allure du type qui nous suivait tout à l’heure, je dirais que l’aventure sera assaisonnée d’action, ce qui n’est pas pour nous déplaire, n’est-ce pas ?
- Tu l’as dit…
Après un instant de silence, Angie reprit :
- Qui êtes-vous, au juste ?
- Peu importe. Tout ce qu’il te faut savoir, c’est que tu as frappé à la bonne porte, répondit Maxwell. On se retrouve ce soir, Sal.
- M’appelle pas comme ça, tu sais à quel point je supporte pas. Ce soir ça me va, mais tu te déplaces ici.
- Si je dois me déplacer, autant que tu me trouves un coin tranquille dans ton bar miteux en attendant. Nous seront hors d’atteinte ici, ajouta-t-il à l’intention d’Angie.
- Ça doit se trouver, oui… fit Salluste en grommelant. Insulte encore une fois mon respectable établissement et je te vire à coups de pompe dans le train, aventure ou pas.
- Je n’en doute pas.
Salluste sortit une clé :
- Tiens, je vous ai préparé une chambre au troisième. Celle du vieux pêcheur aveugle et unijambiste à la canne de bois d’arbre du Sud. Pas de bêtises les jeunes, hein ?
- Alors tu savais que…
- Ouaip, le coupa Salluste, fin sourire aux lèvres.
- Vieux con !
- Tu me remercieras plus tard, j’ai une journée de boulot à finir. Mademoiselle, vous semblez un peu perdue. Ne vous en faites pas, Maxwell aime bien expliquer. N’est-ce pas Max ?
- Fais le malin, tiens. Va abreuver tes poivrots, on t’attendra en haut.

8 commentaires:

  1. Des étoiles dans les yeux,
    De la joie dans le coeur;
    Ô Flightless, notre dieu,
    Tu nous vends du bonheur !

    Fan.

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  2. On dirait du Zola. Enfin, Gordon Zola (non mais)
    Faut vraiment que tu lises ça, c'est exactement toi, sauf que c'est pas toi. Bref. Je t'envoie le bouquin d'ici peu.En plus je fais un tri de mes livres. Donc, pas le choix. Faut que je le refile à quelqu'un.
    Tss tss.

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  3. En tapotant gentiment M. Mimolette sur la motion du jour, j'ai ô grâce divine découvert trois pièces attestant du personnage, que je me suis empressé de consulter.

    Pour résumer, ce type semble posséder un capital de finesse approximativement égal à ceci : http://tinyurl.com/35uvuo9. Capital devant lequel mon animosité à l'égard des Erics a dû plier le genou pour admettre leur indéniable supériorité face à cet individu.

    Malgré tout, je lirai avec curiosité ce que vous aurez à m'offrir, on n'est jamais à l'abri d'une surprise de cette taille environ : http://tinyurl.com/35uvuo9.

    Et si vos impressions s'avèrent fondées (ce que je redoute puissamment), il me reste fort heureusement, j'ose impunément l'espérer, une marge d'évolution non négligeable qui me permettra d'éviter de telles dérives.

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  4. Je ne répondrai même pas. C'est hors de ma portée, merci bien, tout le monde n'a pas le don d'avoir de l'humour (le vrai.).

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  5. La crasseuse mocheté de la pédanterie manifeste que j'ai confectionnée avec amour dans la précédente commentation justifie amplement une telle accusation, mais tout de même, on s'écarte du sujet (si sujet il y a, c'évident).

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  6. Et l'amour manifeste commenté d'une crasseuse mocheté qui accuse le pédant homme justifie amplement un tel éloignement du ledit sujet (si sujet il y a, c'évident)!

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