mercredi 5 janvier 2011

Bashfr, ou l'art de la pêche au gros

Mon cher ami lecteur, ne soyez point surpris
De trouver en ces lieux un étrange récit ;
Je vous le dis : celui que vous lirez ici
Fait peut-être partie de ce genre d'écrits.

Que l'on ait, en sortant, un sourire ravi,
Un visage déçu, ou un air déconfit ;
Quoi que l'on y vécût, et quoi que l'on y fît,
On se souvient souvent de ce que l'on y vit.

Voilà pourquoi je dis ces quelques mots de plus,
Vous prévenir un peu de ce qui vous attend,
Que vous sachiez enfin que ce sont là des us
Auxquels j'aime parfois rendre hommage en partant.

Mais surtout, s'il faut dire une dernière chose,
C'est qu'aucun de ces vers n'est une vérité,
Que ce n'est guère que le chaos qu'ils proposent :
À tous, le souci du vrai a été ôté.


   Il y a plusieurs années de cela, je me suis adressé un défi. C'était un jour pluvieux, et cela me mettait en joie. Dans cette humeur d'apaisement et d'exultation sourde, j'ai décidé cela : qu'un jour j'allais me débrouiller pour avoir un petit pic de visiteurs, l'espace d'un instant. Et puis j'ai eu l'idée du mot-clef, de l'appât. Animé par cette idée démoniaque, j'ai manigancé un Plan. Il fallait qu'il soit infaillible.
   La nuit venue, tout seul dans ma cave, avec un rictus machiavélique et un rire de dément, j'ai formé ma créature : un mot-clef au potentiel démoniaque. Celui-là : bashfr. Il aurait pu être Justin ******, wikileaks ou même Lady ****. Mais, au terme de longues manipulations alchimiques tout à fait glauques et inconcevables, c'est le nom de bashfr qui a fini par se dégager de toutes ces vapeurs délétères. Cela me plut. Si les forces des ténèbres l'avaient choisi, c'est que cela devait être bon. Celui-là semblait bon, et je vis qu'il l'était. Et pour cause : tout le monde connaît bashfr, alias **** *** **** aujourd'hui (nom censuré pour cause de laideur).
   Tout était en place, il ne restait qu'à déclencher l'odieux mécanisme et à observer ses filets se refermer sur une masse grouillante de surfeurs égarés sur ces pages reculées. Mais il restait au milieu de cet édifice infernal deux doutes pressants qui refusaient de faire profil bas…

   Le premier prit la parole avec un sans-gêne innommable :
   « Dis voir, t'es sûr de ton coup, là ? Je veux dire, bashfr, c'est un peu dépassé, non ? C'est plus de ton âge. Et puis même si tu le mets dans ton article, ça veut pas dire que les gens tomberont dessus, tu sais… Le référencement, c'est pas si simple. Ça se passera pas comme ça, mon p'tit pote ! Tout n'est pas rose dans ton affaire. Et puis les gens qui lisent bashfr n'en auront peut-être rien à foutre de ton blog. Ton plan est imparfait, voué à l'échec. Abandonne, évite le déshonneur de la chute. »
   Je lui reconnus une chose : bashfr n'était peut-être pas le meilleur des choix possibles dans le meilleur des mondes probables. Et puis la technique du référencement, bon, il faut l'admettre, n'était pas vraiment étudiée non plus. Mais là où il se trompait, c'était que je ne voulais que des visites, pas des lecteurs. C'était hypocrite, je me mentais, comme un arracheur de cheveux. Mais j'y croyais dur comme Marx, à l'époque.

   Et là surgit le deuxième doute :
   « Salut, je suis le deuxième doute. Tu m'attendais, n'est-ce pas ? Tu redoutais ma venue, je le sais. Je peux m'asseoir ? Merci ? Tu aurais un whisky ? J'ai la gorge un peu sèche… Merci. Bon, je commence, j'abrège tes souffrances. Après tout, je ne suis pas un monstre… »
   Là-dessus il lâcha un rire gras et malsain qui me resta comme un goût pâteux sur l'âme. Puis il continua :
   « Tu vois, les gens vont arriver ici. Très bien. Ton petit plan va peut-être fonctionner. Ils auront tapé bashfr, et puis ils auront cliqué. "Dans tes filets", comme tu dis avec ta prétention. Mais une fois qu'ils seront là, que penses-tu qu'ils feront ? Dis-moi, j'aimerais savoir. Hein ? Tu ne dis rien ? Tu sais que j'ai raison, n'est-ce pas ? Eh bien ils repartiront aussi sec, mon cher. Ils repartiront car tu n'es pas bashfr. Je ne dis pas que tu ne fais rien, qu'il ne se passe rien ici, mais tu n'es pas ce qu'ils veulent. Oh, tu les auras tes visites… Mais à quoi bon ? À quoi bon, puisqu'elles ne seront que des chiffres froids ?
   — (…)
   — Allons, ne te laisse pas abattre, reprends-toi ; je ne voulais pas te briser… Un peu, c'est vrai ; mais je suis curieux moi aussi, tu sais. Je voudrais voir la suite, ce qu'il va se passer. Courage, lance-la donc, ta si brillante idée ! Nous verrons combien de temps elle peut tenir avant de s'éteindre. »
   Je gardai le silence. Que répondre ?

   Enfin j'y ai repensé, tout de même. Pendant toutes ces années j'ai ruminé les paroles du deuxième doute, perturbé par ses révélations, mais je n'ai réussi à en tirer qu'une seule et unique chose : la conviction qu'il me fallait continuer, qu'il fallait que cela soit fait, pour que plus jamais on n'en entende parler. Extirper l'idée hors de soi pour qu'elle cesse de nous sucer l'existence. Voilà qui est en train de se faire, en ce moment même où je vous parle. Sous vos yeux s'étend l'expérience enfin lancée, la machine infernale enfin mise en marche.


   On me dit qu'il faut une fin, qu'il faut toujours une fin, partout et tout le temps. C'est très embêtant, je n'ai pas l'habitude de faire des fins. Non, d'ordinaire j'ai le droit de couper comme ça. Et on voudrait me l'enlever, ce droit ? Comme ça ? Sans autre forme de procès ? Hors de question ! Impensable ! Eh bien tant pis, qu'ils aillent tous au diable, avec leurs fins, je vais leur couper le texte sous la plume :

2 commentaires:

  1. D'après ce que j'ai pu lire sur ton blog, j'aimerais bien te connaitre en vrai. Tu as l'air que quelqu'un de vraiment bien. (Non, pas de lien avec l'article.)

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  2. « Bien », je ne pense pas. M'enfin pourquoi pas.

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