lundi 29 mars 2010

Terry Pratchett mon amour

Le parallèle avec Marguerite Duras et la bombe A s'arrête ici. Désolé pour les fans de physique nucléaire. Pour les fans de littérature, rassurez-vous, il y en a dans la suite.


Terry Pratchett… Aaaaahhhhh, Terry Pratchett…

La première fois qu'on m'a mis un de ses bouquins entre les mains, j'avais quelque chose comme douze ans. On m'a dit « tiens, lis ça, c'est bien ». Et ce fut bien : un cri d'amour immédiat, profond et sincère (sans rire)(je suis toujours sérieux t'façons). Et depuis, j'ai pas lâché ses livres. J'ai parfois fait de longues pauses, mais à chaque fois que j'y suis revenu, la magie a débarqué avec la lecture. Ce bouquin que j'ai lu, c'était La huitième couleur, premier d'une longue série de volumes. Ce qu'il faut dire, quand même, c'est que la série en question se nomme Les annales du Disque-monde. Et ça, c'est important. Parce que le Disque-monde, c'est là où tout commence.


« Mais c'est quoi, le Disque-monde ? » demanderez-vous avec pertinence. En quelques mots, c'est un monde plat, comme son nom l'indique (vous êtes intelligents, vous l'aviez deviné). Un monde posé sur le dos de quatre éléphants gigantesques, eux-mêmes juchés sur la carapace d'une immense tortue qui nage avec une lenteur géologique dans le vide interstellaire. Un monde où les mers de la Bordure se déversent dans le vide en formidables cascades. On pourrait presque croire que c'est de la fantasy, n'est-ce pas ? Avec un peu d'imagination.

Pratchett commence par nous faire entrer dans ce monde, et nous le fait découvrir peu à peu. On apprend à connaître les lieux, les premiers personnages, l'ambiance. Et l'ambiance, elle est bien là, impossible à décrire avec exactitude, mais tellement puissante. C'est un monde totalement déjanté, pourtant il y règne partout une cohérence impressionnante. C'est aussi cela qui fait le charme de la série : on ne lit pas une histoire sur le Disque-monde, on vit une histoire dans le Disque-monde.

Si chaque livre raconte une histoire indépendante, on retrouve au fil de la série un certain nombre de protagonistes. Chacun d'entre eux, principal ou secondaire, est un univers à lui tout seul. Prenons un exemple : le bibliothécaire de l'Université de l'Invisible à Ankh-Morpok (vous en faites pas pour les noms, on s'y fait très vite)(l'Université de l'Invisible, c'est une université de magie, ça faut le savoir quand même). À la suite d'un dommage collatéral de nature magique, ce bibliothécaire est devenu un orang-outan. Malgré toutes les tentatives pour le convaincre de redevenir humain, il a toujours souhaité conserver son apparence simiesque, qui lui permettait notamment d'atteindre les rayonnages les plus élevés sans échelle. D'un caractère irascible, il ne supporte pas qu'on le qualifie de singe, et préfère « anthropoïde » : prononcer devant lui le mot « s… » est en général le signe soit de l'ignorance totale de ce à quoi on s'expose, soit d'un sérieux problème psychologique.
Du point de vue d'un orang-outan, l'un des problèmes majeurs est tout de même la communication avec ses confrères mages, ses cordes vocales ne lui permettant plus que d'émettre des sons limités dans leur variété. Mais certains parviennent tout de même à tenir la discussion avec lui, à force d'habitude, ce qui prouve bien que tout n'est pas perdu de ce côté-là. Le Bibliothécaire s'est même lancé dans la rédaction d'un ditionnaire orang-outan/humain dont voici un extrait :

    •    Oook : Oui
    •    Oook : Non
    •    Oook : Pour vous c'est peut-être une biomasse végétale qui oxygène la planète, mais moi, c'est là que j'habite.
    •    Oook : Vous n'auriez pas vu une banane ?
    •    Oook : Oook


Bref : cet auteur, il est bon. C'est la richesse de son univers, bien sûr, mais c'est aussi son humour, ses situations complètement décalées, la variété de ses personnages. Faire une liste de tout ce qui est bien dans ses livres ferait partie du même ordre d'idées que vider la mer avec une cuillère (petite). Le seul truc qu'on pourrait lui reprocher est d'avoir créé un univers d'une trop grande richesse. Même pour les affamés, il y a de la matière jusqu'à plus soif. Ceci dit, étant donné que son imagination ne tarit jamais et se renouvelle sans cesse, je sais pas vraiment si ça peut être considéré comme une critique…
Un jour, dans une librairie, vous passerez devant le rayon de Fantasy/SF. J'espère que vous vous direz alors : « Tiens, il me semble avoir lu quelque chose à propos d'un certain Pratchett et son Disque-monde. Allez, je vais en lire quelques lignes, histoire de voir un peu la chose de l'intérieur. »

Et comme une citation vaut toujours mieux qu'un long discours (enfin, ici en tout cas, disons que ça complète vachement bien), voilà un exemple de ce à quoi ressemble du Terry Pratchett dans le texte :

« L'univers

Il s’agissait d’un minuscule morceau de matière qui naquit brusquement du néant.
La Mort se rendit d’un pas raide au point d’arrivées et regarda attentivement.
Un trombone*.
Bon, c’était déjà un début.
Il y eut un autre léger bruit sec, et un petit bouton de chemise blanc se mit à tournoyer tranquillement dans le vide.

* Beaucoup de gens pensent qu’il aurait dû s’agir d’une molécule d’hydrogène, mais les faits observés contredisent pareille idée. Quiconque a jamais trouvé un fouet à œufs jusque-là inconnu bloquant un innocent tiroir de cuisine sait que la matière brute se déverse en permanence dans l’univers sous des formes relativement développées, lesquelles apparaissent en général dans les cendriers, les vases, les boîtes à gants. Elle choisit son aspect de façon à ne pas éveiller les soupçons ; parmi ses manifestations les plus communes, citons les trombones, les aiguilles d’emballage de chemise, les petites clés de radiateur de chauffage central, les billes, les bouts de crayons, les pièces mystérieuses de divers ustensiles pour hacher les fines herbes et les vieux albums de Kate Bush. Les raisons qui poussent la matière à agir ainsi restent obscures, mais il est évident qu’elle a des idées derrière la tête.
Il est également évident que les créateurs d’univers préfèrent parfois le procédé du big-bang, mais qu’ils recourent aussi de temps en temps aux méthodes plus douces de la création continue. Ces dernières faisant suite à des études de cosmothérapeutes qui ont révélé que la violence du Big-Bang risquait de causer à l’Univers de sérieux problèmes psychologiques à l’âge adulte.
»

9 commentaires:

  1. J'ai le droit, non, de commenter ? N'est-ce pas ? Même si c'est vieux ? Parce que tant qu'un article ne pue pas les remugles de marin âgé (restons polis) ou le renfermé (faisons simple), il est encore bon pour être commenté, n'est-ce pas ?

    De plus, si l'on s'appuie sur la loi ancestrale qui dit : "Terry Pratchett ne puera jamais ni les remugles de marins croulant sous le poids de l'âge ni le renfermé. De plus, Terry Pratchett transcende le temps, il est immortel." et par association d'idées, on peut dire que cet article est immortel (ce qui est faux, seul Terry Pratchett, Robin Hobb, Les Grecs, les Romains, les Aïnous et le verbe sont immortels) et qu'il peut toujours être commenté.

    Bien, puisqu'on vient de démontrer que je peux poster un commentaire ici, autant le commencer maintenant.

    Un seul mot me suffirait. Enfin non. Plutôt : tout les mots du mondes, même ceux perdus, oubliés, ne suffiraient pas. Terry Pratchett est... Terry Pratchett. Ni plus, ni moins. Et, pour reprendre une "blague", si l'on peut dire, de mon frère : "De toute façon, le seul que Chuck Norris il bute pas, c'est Terry Pratchett." Ce qui signifie, pour lui :"Oh ! God !! What a GREAT writer !!!" Si on peut donner une traduction exacte de son langage vieillo-juvénile. Je crois que je me souviendrai toujours de ce jour que j'ai tant maudit à l'époque, où, au lieu du FF tant attendu, j'ai reçu pour mon anniversaire (Euh... 8 ans, je crois.) le premier tome des Annales du Disque-Monde (trop de majuscules, mais bon...).

    Bon, pour raccourcir cet épanchement de sentiments un peu trop étendu, je vais stopper ce flux incessant de mots.

    Terry Pratchett = le bien.

    Mais, sans oublier que le bien, tel le mal, la morale, la vérité et toute la métaphysique étrange, est une notion subjective qui n'engage que ceux qui y croient.

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  2. Ha, je crois qu'immortalité du commentable ou pas, le droit de commenter s'accapare sans scrupules et ne se pose pas trop de questions.
    (Avoir des commentaires est l'un des trucs les plus réjouissants que je connaisse ici. Juste à côté du truc qui consiste à publier.)

    (Les Romains, c'est discutable. Ils ont quand même emprunté beaucoup de moustache aux Grecs. Les Aïnous, on va dire présomption d'innocence, vu que je ne les connaîtrai que tout à l'heure après passage sur W.)

    On n'écrira jamais assez d'odes à la gloire de Terry Pratchett. Sans oublier que cet individu fait partie intégrante des notions sus-citées. Différence essentielle : lui, c'est une notion objective. Parfaitement, moi, je l'affirme et j'en ai l'intime conviction.

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  3. J'approuve. Avoir des commentaires (des comm' pour les intimes -attention, zone D.-) est une des choses les plus jouissives de blogs. Nonobstant la publication de choses ahurissantes ou délirantes -quoique véridiques (un s, à quoique ? je ne crois pas...). Et hormis le fait d'être sur la page d'accueil. Mondieumeingott ! Rêve futile et irréalisable, mais que ce serait bien d'y être -sans compter l'apport de visiteurs presque indésirables.

    Bref, les Romains ont en effet emprunté beaucoup aux voisins de droites (de leur droite à eux, sur une carte -sauf si on coupe la carte juste à gauche de Rome, mais on va dire,- sauf cas particuliers). Mais quand même. Comme dit un certain savant dans Péplum, d'A.N. (c'est ainsi qu'elle se prénomme dans ses romans), "Il faut soit être totalement fou, soit être homosexuels pour préférer les Grecs aux Romains". Grâce à cette phrase, j'ai hissé les Romains aux côtés des Grecs sur le podium de l'immortalité (le mien, vu que mes posts tournent autour du "je").
    Les Aïnous, quand à eux... Bah, ce sont les martyrs du podium, on va dire. Non, aucuns hauts faits à leur actifs, seule une lubie aussi incessante que puissante qui m'a prise (please, wait while we're seeking...) ... Il y a longtemps, à mon échelle (qui est courte, puisque je n'ai que 15 ans).

    Pour en venir au vif du sujet... Je n'avais jamais vu Terry Pratchett de cette façon. Il faut que j'y réfléchisse sérieusement. Je pense que je vais rouvrir mes Annales du Disque-Monde.

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  4. Grâce à A.N. j'ai hissé la haine au rang de la vertu sur l'échelle morale des passions. Mais sans rancune, je rencontre tant de gens qui l'aiment qu'il faut bien être un peu tolérant, parfois.

    Encore du flood. Décidément…

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  5. A.N. me dérange. C'est pour ça que je l'aime. Je n'apprécie pas tout en ses écrits, mais ses livres ont permis, l'année dernière, à la personne que j'aime le plus de rester en vie. C'est pour ça aussi, que je l'aime.

    De toute façon, il ne faut pas s'inquiéter : le flood, ce n'est pas le mal.

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  6. Peut-être qu'elle a sauvé des tas de gens, ça ne fait pas d'elle une grande écrivain, à mon sens.

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  7. Non, effectivement. Mais je me sens quand même redevable. Je devais la lire. C'était une urgence, un besoin vital. Je voulais voir ce qui avait permis de la sauver, ce qui lui avait permis de ne pas céder à la tentation de la fuite. Et même si ce n'est pas une grande écrivain, même si la citer à côté de Terry Pratchett était effectivement à la limite du blasphème, j'aime ses mots. Pas totalement, mais je les aime quand même.

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  8. C'est un droit, je le sais bien. La preuve : il est des gens qui l'aiment ET sont de bons amis.
    Je la déteste, c'est viscéral, mais ne nie pas qu'elle ait pu faire des choses intéressantes.

    M'enfin tant mieux si elle a pu empêcher certains de s'enfuir de ce monde.

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