jeudi 2 décembre 2010

« Je m'intitule par la racine. » ou Diatribe

Connaissance du syndrome Antonin Artaud hautement préférable. J'dis ça, c'est juste pour faire de l'élitisme crasseux, hein…
Ce que je dis n'engage que moi et peut-être un peu moi aussi, et puis c'est tellement motivé par de la passion incontrôlée que ça ne peut pas être entièrement fondé. Tant pis : une diatribe de temps en temps, ça ne peut faire que le plus grand bien (phrase dénuée de tout fondement, mais on peut faire semblant de croire qu'elle touche au vrai, comme ça on se sent mieux).


C'est en ces termes (voir titre) qu'il l'aborda, un soir de printemps (fake). Il lui dit cela d'un air sérieux, franc, droit, direct, ce qui fit qu'il recula, frappé de stupeur. Comment ? Il osait lui parler ainsi ? Scandaleux ! Inadmissible ! Qu'il sorte ! Mais il ne se laissa pas démonter, poursuivit :
« J'ai un grave problème à l'intérieur de moi-même, je suis tout déstructuré, mon esprit est une espèce de savonnette que je n'arrive pas à saisir, je ne sais plus parler le langage des hommes, je ne connais plus que le mien. Publie-moi, je t'aime. » Alors il prit son pied, il le prit vraiment, son pied, et l'enfonça profondément dans le fondement de l'humanité. Parce que oui, il allait être publié.

« Regardez, ce langage est le mien ! Je ne suis pas capable de sortir de moi-même pour faire de la littérature, alors je vous montre directement l'intérieur de moi-même et je vous explique que c'est de la littérature aussi, comme ça c'est génial, je suis génial. » voilà ce qu'il a dit. Et ce fut génial, dirent-ils. Et alors, le mec qui l'avait publié lui dit : « mais votre esprit, vous, tout ça, c'est génial ; je te publie encore plus profond, je t'aime ». Et là, là, la consécration. « Dieu que l'on m'aime, et pour la merde que j'apporte de mon langage, en plus ! Merveilleux, je n'ai aucun effort à faire, je vais juste continuer plus avant dans cette voie. Puisque je suis parti sur des bases langagières et que le langage est le drame de ma vie – putain qu'est-ce que ça sonne bien, surtout en italiques ! –, je fais faire de ce drame la tragique remise en cause d'une société qui a détourné le regard de ceux qu'elle classe trop hâtivement avec les fous. Moi, je vais leur dire que les vrais fous, ce sont eux ; eux qui ne savent pas voir en la folie le simple langage d'un individu incapable de s'adapter au langage que eux proposent. La langue française, je le remplis de ma merde, et j'en suis fier. » Voilà ce qu'il a pensé. Ou plutôt voilà ce qu'on a dit qu'il avait pensé. Parce que finalement, entre le vrai lui et celui qu'on a construit, hein, ya bien de la distance…

Et puis une fois qu'il a eu fini de déverser de son langage partout, il s'est attaqué au théâtre : « va falloir remédier à tout ça, les enfants : votre théâtre, là, il est soumis à votre langage. Mais si, regarde : tu dis « sors d'ici », et il sort d'ici. Ridicule ! J'vais y foutre un peu le bordel, moi ; vous allez voir, ce sera marrant. Déjà, ce que vous dites sur scène, on s'en branle, c'est le reste qui est important, la gestuelle, le corps, toussa. Le vrai langage, quoi : celui du corps, celui du ton, et pas cette merdasse de langue française qui ne signifie rien. Allez, va falloir remanier tout ça ! » Je ne nie aucunement la qualité des propos qu'il a pu tenir et la réflexion qu'ils ont pu amener, mais tout fut motivé par cet élan initial : défendre l'individu au langage déstructuré face à une société tentant de l'exclure. Alors une idée née d'une unique conviction n'est pas toujours inintéressante, mais jamais vraiment belle et complète, forcément.


Carotte !


Diatribe anti-Artaud, soit, mais le fautif, ce n'est pas forcément lui. Lui, c'est juste un bon vieux torturé du langage et de la pensée qui, n'ayant pas réussi à s'en sortir assez vite, s'est trouvé publié alors même qu'il était en plein cœur de son drame langagier – « Nomdedieu, c'est quand même raclure de beau, c'te merde ! ». Se faire publier à ce moment de son existence individuelle lui aura permis de ne jamais sortir de cet état (pourquoi changer quand on est reconnu pour ce qu'on a été à un moment donné de notre histoire ?) et de devenir le porte-parole de tous les déshérités de la langue, tous les borderlines de la folie artistique. C'était lui, le porte-drapeau de ceux qui produisaient leur propre monde emmêlé par les tourments de leur propre langage. C'était sans doute un mec intelligent qui s'est laissé prendre au piège de lui-même et s'est rendu coryphée à force d'auto-caricature (il avait parfaitement conscience qu'on allait faire de lui le précurseur de quelque théorie littéraire à la con). Alors forcément, on ne peut pas le nier : vu qu'il n'a jamais changé d'état d'être, il a commencé à bien le connaître, ce problème du langage. Ben oui : si on te fout dans une cellule pendant dix ans, tu commences à repérer les détails. C'est en ça qu'il a vraiment écrit des trucs intéressants, qu'il a vraiment pu explorer une voie.

Non, les fautifs, ce sont les autres, ceux du pendant et de l'après, les imbéciles : ceux qui ont cru à une remise en cause fondamentale de la conception de l'art et de son acceptation par la société. Alors qu'Artaud ne faisait que plaider le droit à être soi dans la société, on lui a fait plaider le droit à la société d'être lui. Et ça a marché : ils ont réussi à lui inculquer le syndrome « j'ai une grosse bite et je vous emmerde », du coup il a pris de la bouteille et de l'assurance dans la voie putrassière qu'il avait « choisie » : celle d'emmerder la littérature en parlant son propre langage. M'enfin l'avantage (si l'on peut s'exprimer ainsi), c'est que ça a permis à un tas de gens de passer par une réflexion qu'ils comprenaient pour accepter des trucs et des gens qu'ils ne comprenaient pas (Van Gogh, pour ne pas le citer, citons-le ; ce n'est qu'un exemple, yen a des tas d'autres, des artistes qui ont parlé leur propre langage).

Bleu !

Que la masse des théoriciens s'empare d'une bonne idée pour que celle-ci devienne ridicule. Comme le symbolisme : Jarry au théâtre accrochant un panneau avec marqué « forêt » sur la scène, pour qu'on sache que c'est bien une forêt, c'est une superbe idée, et vraiment marrante, en plus (qu'on ne vienne pas me dire qu'il n'avait pas d'humour mais était fou, hein… puis c'est la même chose tfaçons, à partir d'un certain stade) ; mais, inéluctablement, il y a des abrutis qui trouvent l'idée géniale, et en font une théorie : « bon, les gars, à partir de maintenant, on ne fera plus rien qui ressemble à quoi que ce soit, parce que c'est dépassé. Nous, vu qu'on est über-subtils, on va faire autrement : on va fonctionner intégralement par symboles. C'est ça l'avenir, c'est nous ». Et voilà : le symbolisme naît, la merde commence.

Ça me fait penser à La vie de Brian, tiens. Particulièrement cette scène où ledit Brian, en train de se faire passer pour un prophète, histoire d'échapper aux soldats romains, se trouve rapidement à la tête d'une foule de fidèles en délire. Si ce n'est pas déjà fait, il faut voir cette scène (et le film entier, huit fois). Comme d'hab, les Monty Python retranscrivent avec génie certains travers humains : ici, l'exaltation des masses pour le prophète. Et dans notre cas c'est la même chose, exactement la même chose. On prend un individu avec des idées un peu hors normes, et plutôt que de tenter de le comprendre en tant qu'individu, ou même de réfléchir calmement sur ce qu'il apporte, on préfère y voir un profond bouleversement de toutes les normes que l'on connaissait jusque là. Et comme on le pousse à continuer, soit en s'opposant à lui, soit en lui chantant des psaumes (ce qui revient au même, au niveau du rapport d'importance à son œuvre), lui n'est souvent que trop ravi de se laisser aller à ses théories et de pousser à bout sa bonne idée de départ, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'une doctrine.


Comme susdit : tout ceci est motivé par un désarroi profond, mêlé de désespoir et d'une certaine colère (preuve que j'ai toujours foi, quelque part, en un changement, sinon je vivrais l'indifférence la plus totale). À l'égard de tous ces engouements injustifiés, à l'égard aussi de ce qui m'apparaît être la propension humaine à l'absence de remise en cause des théories du présent. Dès qu'il a trouvé quelque chose de nouveau, l'humain à une fâcheuse tendance à se jeter dessus avec férocité et à croire détenir la vérité contre ceux d'avant lui ; et ce jusqu'à ce que surgisse à nouveau la nouveauté. C'est une réflexion simpliste, mais qui malheureusement reflète pas mal de vrai. Alors maintenant, la plupart de ces gens connaissent le principe, et affirment avec assurance que « les théories d'avant ne manquaient pas d'intérêt, je vous l'accorde » ; le problème, c'est que ces mêmes types ajoutent immédiatement un « mais quand même, regardez ça : c'est tout nouveau, et puis ça a quand même vachement plus de couilles, vous ne trouvez pas ? ».

C'est moche.

1 commentaire:

  1. Ahhhhh, comme je t'aime quand tu dis des cochonneries ! Pourquoi me résistes-tu blondin ? Nous sommes fais l'un pour l'autre, non ?

    Bref, j'ayme, et peste contre ton égoïsme forcené et ta grosse bite.

    Marx.

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