jeudi 16 décembre 2010

Obscurantisme : ça va être chouette

Voilà. Nous vivons en 1984, dans l'horreur la plus totale. Les temps qui s'ouvrent devant nous s'annoncent être l'une de ces sombres périodes de l'histoire où la population est tenue dans l'ignorance, et où des gouvernants tout aussi ignorants s'engraissent aux dépends de la justice.

Je vous parle bien entendu de la loi Loppsi 2. Son nom déjà donne l'impression d'un espèce de spectre noir de quelque régime fasciste revenu du passé : « Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ». Cette chose qui motive aujourd'hui mes paroles, ce n'est qu'une goutte de trop dans leur infamie perpétuelle, mais ce n'est pas la moindre des gouttes. Loppsi, c'est quoi ? C'est ce qui va nous sauver des pédophiles du net. Vous savez, ces individus malfaisants qui pullulent à chaque coin de site web pour attirer les jeunes ingénus dans leurs filets poisseux de pornographes du bas-âge, ces affreux bandits qui mettent chaque jours nos enfants en danger par leur perversion malsaine… Ceux-là même qui sont partout, ceux que personne n'a jamais croisé autre part que dans les textes de lois. Voilà, ça, c'est leur alibi, leur argument béton qui repose sur du rien, sur des mots, sur du sophisme à la pureté douteuse. Car ils n'ont rien, strictement rien pour prouver quoi que ce soit à propos de ce soi-disant argument avec lequel ils nous rebattent les oreilles depuis les origines du net. Mais ça ne fait rien, ce genre de choses n'a plus d'importance aujourd'hui, ils n'en ont plus besoin.

Loppsi, résumons en quelques mots, donne le droit à l'administration (pas la justice, hein ! certainement pas de juge dans cette histoire !) de faire passer tout site « à vocation pédopornographique » dans une blacklist soigneusement tenue au secret. Ce qu'on pourrait légitimement se demander, entre autres : pourquoi faut-il que l'administration seule puisse de manière discrétionnaire décider de couper l'accès à tel ou tel site ? Réponse : « oui mais c'est plus rapide comme ça ». C'est un autre exemple qui prouve à quel point personne au pouvoir ne se soucie plus de donner des raisons plausibles à ses actes.
En première ligne de cette affaire, M. B. Hortefeux qui, nous le savons tous, représente depuis quelques années le chef de file de la lutte contre l'injustice. En arrière-plan, les FAI. Bien entendu, ils sont soumis de façon totalement coercitive à toute décision qui leur parviendrait de blacklister quelque site que ce soit (sinon, amende, emprisonnement et tout le bordel : on ne plaisante pas avec la sécurité de nos enfants).
Quand je dis « tenue au secret », cela signifie exactement que personne n'aura accès à cette fameuse blacklist, sinon les décideurs, et les FAI. Pas de juge, pas de médias, rien. Le pied pour la censure, quoi. Voilà ce que c'est, Loppsi, la Sainte Voie d'accès à la censure facile et sans conséquences.

Je n'ai pas pour habitude de parler politique, je ne parle d'ailleurs pas politique, je parle humain. C'est pour moi la preuve que depuis deux mille ans l'espèce humaine n'a progressé en rien dans la manière de se gouverner ; nous sommes toujours autant incapables de placer l'intelligence ou même le bon sens à la barre de notre société. Voilà aujourd'hui où en est un pays, la France, supposé être l'élite du pays démocratique, supposé être le pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Après des milliers d'années d'évolution, nous ne sommes pas plus avancés que les Grecs anciens.
« La démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres. » Jamais je n'ai été moins certain de la véracité de cette phrase. La démocratie est une porte grande ouverte à la manipulation de la masse, la porte grande ouverte à l'affaiblissement des esprits et à la domination des moins flasques. Les esprits affûtés en démocratie sont bien trop occupés à vomir leur dégoût pour se consacrer à gouverner.
Si certains ont pu dire l'histoire cyclique, c'est parce que l'être humain ne change pas, parce qu'il reste toujours en lui cette part d'imbécilité qui le fait agir en dépit du bon sens et en direction de ce qu'il estime être juste dans son ignorance aveugle. C'est l'imbécilité de celui qui censure, et qui ne fait que faire reculer l'humanité par sa profonde incapacité à comprendre son action.

Mais au-delà de cette masse de barbus au pouvoir qui pousse à abandonner tout espoir en l'être humain, il reste ceux qui comprennent plus ou moins. Je ne sais si ceux qui comprennent vraiment adoptent une attitude de renoncement et de mise à l'écart philosophique, je ne sais si comprendre, c'est savoir qu'il n'y a rien à faire sinon comprendre et parler pour ceux qui écoutent. Peut-être. Mais il existe encore de nombreuses consciences qui tentent de s'exprimer, c'est cela qui porte l'espoir de l'immédiat, l'espoir du changement.

Et c'est là qu'on observe l'autre face du problème : la nouvelle forme de censure qui prend forme en ces temps, qui a d'ailleurs déjà pris forme. Lorsqu'avant on avait peur de la parole, peur des mots d'un contestataire à la voix puissante, aujourd'hui on n'a plus peur de rien car on n'a même plus de respect instinctif pour la parole sensée. Aujourd'hui la parole d'un ou de plusieurs individus ne fait plus peur aux dirigeants. Celui qui parle contre eux n'est plus immédiatement soumis au silence. Non, cette forme de censure existe encore, mais ce n'est pas la plus dangereuse aujourd'hui. Le danger actuel, c'est la censure par la masse : un individu s'exprimant seul dans la masse n'a plus besoin d'être réduit au silence puisque plus personne ne l'écoute vraiment. « Cause toujours tu m'intéresses. » On ne le fait plus taire, ce n'est plus la peine.
La censure qui fait taire inquiète. Loppsi inquiète, car elle fait taire. Mais celle qui laisse parler dans le vide ne fait peur à personne car elle est discrète et s'infiltre partout sans éclat. C'est pourtant cette censure-là qui a le plus de force et qui permet au despotisme de s'installer avec le plus d'assise.
Mais la première censure n'est pas morte, au contraire : grâce à la censure par la masse, elle peut désormais passer inaperçue. On fait taire celui qu'on estime gênant tout en sachant pertinemment que personne ne le remarquera.

On n'a plus peur de la parole contestataire, car les gouvernants ont perdu toute finesse, toute capacité à réfléchir sur le sens de leurs responsabilités. Ils agissent aujourd'hui avec l'instinct de la bête et ne sont plus en mesure de mesurer la portée d'une attaque cohérente à leur encontre. Toute critique fondée et construite qui leur serait faite ne recevrait de leur part que le mépris né de la bêtise. Ne percevant plus la critique et ne comprenant même plus la remise en question, ils n'ont plus peur de rien et agissent en rhinocéros aveugles. Le défi de l'intelligence dans la société d'aujourd'hui est de se battre contre un gouvernement qui a perdu toute finesse.
Mais s'ils affichent ce mépris né de la bêtise, c'est bien parce qu'ils ont la certitude que plus rien de cette critique de profondeur ne sera en mesure de les déloger de leur position. Plus personne ne se soucie de la profondeur. Il leur suffit d'ignorer la critique pour qu'elle finisse par s'étouffer dans la masse de la médiocrité. Deviendrait-elle dangereuse, ils n'auraient qu'à pratiquer l'ancienne forme de censure, à la faire taire sans autre forme de procès. Aujourd'hui, cela ne resterait que deux jours dans les mémoires, avant que quelque chose de nouveau ne vienne effacer l'esprit de la population pour y graver une nouvelle doctrine.
Les dirigeants actuels n'ont plus aucune raison de craindre la finesse, et ils en deviennent adeptes de la bêtise.

Pour que la révolte prenne corps, il faut que gronde quelque chose, et puis que se dégage une idée formatrice, quelque chose de simple et de précis qui sera ensuite repris par tous. J'ai l'impression qu'aujourd'hui et par cette censure de masse, la révolte est confinée au grondement. J'ai le sentiment qu'aucune idée formatrice ne peut s'en dégager, que le noyau de la révolte ne peut pas prendre forme. Et sans noyau, une révolte ne reste qu'une vague protestation informe, et ce quelle que soit sa force. L'informe n'a jamais renversé des gouvernements.
C'est pourtant là l'idée la plus incertaine que j'évoque sur ce sujet, mais cela m'apparaît comme une possibilité inquiétante parmi toutes ces possibilités ô combien inquiétantes.

Je ne désespère donc pas, je n'ai pas encore perdu tout espoir en l'ingéniosité de l'esprit humain pour trouver la parade à l'enfoncement de la société vers ce qui s'avère être un nouvel obscurantisme. Que ce soit aujourd'hui ou dans un siècle, naîtront des pensées qui sauront s'imposer au plus grand nombre et qui sauront à nouveau tirer l'humanité vers une lumière, quelle qu'elle soit. Peut-être, avec l'accélération de la pensée et de l'information, pourrons-nous assister, nous les vivants, à ce retournement de situation. Tout plutôt que ce que nous sommes sur le point de vivre.

La chance que j'ai encore, c'est de ne pas être lu. Je n'ai donc pas encore eu droit à ma menace de mort signée du ministère de la Justice et agrémentée d'un joli cercueil miniature. Vivement.


PS : J'adorerais avoir des commentaires méchants me remettant à ma place à propos de cet article qui comprend forcément des tas d'absurdités, de non-sens et d'odieuses fausses vérités nées de l'indignation. À l'heure où j'écris ceci, je ne vois pas encore ces défauts. Si vous pensez en repérer, je vous saurai gré de les pointer du doigt.

2 commentaires:

  1. Quelle qu'elle soit, il faut l'apostrophe ... (tu as demandé à ce qu'on pointe du doigt ...)

    RépondreSupprimer
  2. Ah, mais je maintiens, et ce quelle que soit la nature de l'erreur !
    (Merci, donc.)

    RépondreSupprimer