vendredi 24 décembre 2010

Sujet : la volonté

    Tu places un personnage au centre, juste là. Des personnages, il en faut. Puis tu lui injectes de la volonté, c’est le but, il en faut aussi. Tu as décidé de faire simple, de pas faire ressortir le sujet en filigrane. Non : point de douceur ; tu l’as pris, et tu l’as ostensiblement collé sur ton texte. Ton personnage, maintenant, est plein de volonté. Bon.
    Le reste, maintenant. Dans le décor, il n’y a rien pour l’instant, et ton personnage est tout seul. Tu te dis que dans le vide, lui et sa volonté sont bien démunis. Alors tu commences à fabriquer, d’abord par petites touches successives : ton personnage sera masculin. Voilà, c’est arbitraire, c’est comme ça, il sera masculin. Pour faire bonne mesure, tu places en face de lui un personnage féminin, et puis un troisième, pour faire meilleure mesure. Un triangle, c’est bien un triangle. Mais pas amoureux. Enfin tu ne sais pas encore, ce serait dommage. Bon. Maintenant ils sont trois, c’est un mieux.

    Tu as ton premier personnage, celui qui est plein de volonté, c’est un jeune homme. Il est beau. Tu te dis que c’est nécessaire, sans trop savoir pourquoi. Tu ne sais pas pourquoi, mais il est beau. Tu auras tout le temps de le connaître un peu mieux, tu passe à ton deuxième personnage, le féminin. Il est beau aussi. Elle est belle, c’est ça. Le troisième, tu l’observes un moment. C’est un jeune homme aussi, mais tu comprends qu’il ne peut pas être décrit, que ce serait inutile, parce qu’il est différent, à l’intérieur.
    Un instant tu te demandes si c’est suffisant, s’il ne faut pas le rendre laid, ce troisième. Immédiatement on frappe à l’entrée. C’est un scénario, qui t’explique : fais donc cela, et puis la la belle finira avec le laid, qui finalement est beau à l’intérieur. Tu claques la porte à ce type, juste là sous le nez. Non, pour ton troisième, tu gardes ta première impression : il n'a pas d'apparence. Tu retournes à tes personnages, ils discutent déjà. Tu es en retard, tu t’affoles un peu, tu reprends tes esprits. Tu les sépares et les éloignes un peu les uns des autres, tu retires délicatement leurs souvenirs. Il n’est pas encore temps.

    Ça y est ton univers est en train de naître, sans que tu ne t’en sois vraiment aperçu. Ils ne se connaîtront pas. Tu n’avais pas prévu ça, tant pis, tu continues. Tu décides de leur coller une ville dans les pattes. Tu aurais pu faire ça en campagne, dans l’espace, ailleurs, mais c'est la ville, tu ne sais pas pourquoi et tu n’as pas de temps à perdre à te poser la question. Tes trois personnages sont dans une ville, une grande ville. Tu jettes un coup d’œil sur le premier, il est toujours bouillant de volonté. Parfait. Tu ne sais pas ce qui résultera de cette alchimie, mais c’est parfait. Bon. Ça manque d’animation. Tu animes la cité ; c’est la nuit, les villes ne dorment pas la nuit. Les routes sont traversées de voitures, les rues de promeneurs. C’est une nuit d’été, il fait chaud, les gens discutent, sont heureux, ensemble, il n’est pas très tard. La ville fourmille. On croise des touristes, des autochtones, parfois un animal, personne ne semble vraiment pressé.
    Tu cherches alors tes personnages, tu trouves d’abord le troisième, planté là sur le trottoir, il attend. Tu hésites à lui donner un nom, ça le réduirait forcément à quelque chose. Mais tu te dis que c’est nécessaire. Tu l’appelles Hubert, non ! Trop tard, c’est fait. Ce sera Hubert. Alors tu te demandes ce que tu vas bien pouvoir faire d’un Hubert. Tu lui donnes un job : livreur, de pizzas. Et puis tu décides d’en faire un type un peu génial, un peu mélancolique, sombre, doux, un peu de tout. Tu te demandes comment il a fini livreur, et pas astrophysicien, et puis tu oublies ; qui s’en soucie ? Voilà ton Hubert prêt à l’emploi qui tourne et vire en livrant ses commandes. Tu le laisses tout seul et tu te mets à chercher les autres.
    Tu cherches un moment, à nouveau, et puis tu trouves ton premier personnage. Julian, qu’il s’appelle. Tu constates qu’il est beau, c’est très bien. Julian est seul chez lui, un petit appartement au dernier étage. Il est tard déjà, la nuit est noire, mais Julian est étendu sur son lit, les bras derrière la tête, les yeux ouverts, il ne voit pas le plafond et regarde le ciel, Julian rêve, Julian est un rêveur. Un sourire est posé sur lui, le sourire de ceux qui ne sont plus sur Terre. Bizarrement tu ne vois plus bouillonner en lui ce fleuve de volonté pure que tu lui connais, tu es pourtant certain de lui avoir offert. Mais tu te dis qu’il jaillira le moment venu. Rassuré, tu sors de la pièce et pars dans les rues à la rencontre de ton personnage féminin. Elle est belle, tu le sais, alors tu cherches, et puis elle est là. Elle est dehors, comme Hubert, mais elle n’a pas attendu que tu viennes pour vivre : déjà elle est avec des amis, discute, rit beaucoup, elle a l’air heureuse. Tu ne lui ajoutes rien, tu la trouves bien comme ça. Tu ne connais pas encore son nom, mais peu importe. Et puis il te saute aux yeux, elle s’appelle Anne.
    Tu aimes bien tes personnages, tu ne les connais pas encore mais tu les aimes bien.

    Tu sais qu’ils vont se croiser, tu te demandes comment. Hubert, tu te doutes bien qu’il livrera Julian, ou Anne. Mais les autres… Alors tu te fies à eux, encore une fois. La nuit, tout est possible. Pour les lancer sur la route de ton histoire, tu leur donnes une impulsion. Et puis tu entres dans leur monde.

5 commentaires:

  1. Je crois que c'est le texte que tu as écrit qui m'a le plus touché. C'est Beau, tout simplement.
    Merci Flight pour ce petit cadeau de noël.

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  2. Rectification et/ou précision :
    Je viens de m'appercevoir que "le texte que tu as écrit qui m'a le plus touché" peut ne pas être un compliment, si l'on part du postulat que tu rédiges de la merde molle.
    Postulat et démonstration/réfutation mis à part ; le texte m'a touché, ému, tout court. Concomittance du best of Flight, mais non causalité, et non rapport avec le niveau moyen des écrits...

    Bref, compliment quoi ; sincèrement.

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  3. Merci.
    (Concomitance mais non causalité, c'est beau.)

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  4. Un personnage est actant, et seuls les actes manifestent sa volonté, ou disons que c'est le plus haut point d'expression de sa volonté.

    Bon ok, j'ai la théorie mais je pratique pas. Le roman est mort, faut trouver autre chose. Les gens s'en branlent du roman, y a peut-être autre chose à trouver.

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  5. Le Nouveau Roman ?
    Je suis un conservateur bête et méchant, j'aime bien le roman.

    Ceci dit, même si je ne pense pas que le roman soit mort, il y a sans aucun doute quelque chose à trouver de nouveau. Il y a toujours quelque chose à trouver de nouveau.

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